Litiges en matière d’urbanisme : Une plus grande sécurité juridique ?
Par Francis Polizzi, vice-président du tribunal administratif de Montreuil et juge
Un accès au juge encore très large…pour un « procès » de plus en plus encadré
L’article L. 600-1-2 relatif à l’intérêt pour agir des voisins se borne pour l’essentiel à codifier la jurisprudence antérieure…sauf l’utilisation du terme d’affectation directe des conditions d’occupation censé inciter les juges à être « un peu plus stricts » dans l’appréciation de l’intérêt à agir (cf rapport du groupe de travail présidé par M. Labetoulle en 2013). Or, si une décision a pu donner le sentiment que la jurisprudence s’orientait en ce sens (CE, 18 mars 2019, n° 422460, Lebon T, F. Polizzi, Va-t-on vers une restriction de l’intérêt à agir des voisins contre les autorisations d’urbanisme ? JCPA, comm. 2167), la tendance semble être à la simple confirmation de la jurisprudence antérieure.
Toutefois, une fois le litige engagé, un certain nombre de mécanismes limitent la possibilité d’invoquer des moyens à l’encontre de la décision attaquée. Outre la jurisprudence Danthony applicable en toute matière, en premier lieu, l’exception d’illégalité de la règle d’urbanisme est de plus en plus restreinte : art. L. 600-1 pour certains moyens de légalité externe après un délai de 6 mois, toutefois dépassée dans les autres matières par la jurisprudence d’assemblée du 18 mai 2018, n° 414583, qui écarte l’invocabilité de tous les vices de légalité externe, sauf vice de compétence, en exception d’illégalité comme en contentieux de l’abrogation ; jurisprudence Cne de Courbevoie ; art. L. 600-12-1 rendant inopérants les motifs d’illégalité étrangers aux règles d’urbanisme applicables au projet, CE, avis 2 oct. 2020, n° 436934). En deuxième lieu, la « cristallisation » des moyens, automatique en matière d’autorisations d’urbanisme, limite dans le temps la possibilité d’en soulever de nouveaux.
Enfin, dans le but d’accélérer leur traitement juridictionnel, un seul juge du fond intervient sur un certain nombre de litiges en matière d’urbanisme ou d’environnement : tribunaux administratifs pour les permis de plus de deux logements en zone tendue, cours administratives d’appel notamment pour les permis valant autorisation d’aménagement commercial et les éoliennes terrestres et même désormais Conseil d’Etat pour les éoliennes offshore.
Parallèlement, la loi procède à une restriction discutable pour les associations créées moins d’un an avant le dépôt de la demande. Il est certes possible que des associations ne se forment que pour attaquer un futur permis, anticipé à partir de projets figurant sur Internet, mais cette mesure, validée par le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, peut conduire à refuser l’accès au prétoire à des associations créées de bonne foi moins d’un an avant l’affichage de la demande de permis. Une solution pourrait consister à faciliter l’agrément des associations, notamment en réduisant le délai minimum de trois ans exigé par le code de l’environnement, pour pourvoir être agréées au titre de la protection de l’environnement.
Au total, le droit au recours juridictionnel en la matière est plus encadré que par le passé, traduisant la volonté d’assurer une plus grande sécurité juridique des décisions.
De très larges possibilités de régularisation qui réduisent le risque/la chance d’annulation
Il n’y a quasiment plus de limite tenant à l’importance des modifications nécessaires à cette régularisation (cf, sur la notion de « bouleversement tel qu’il en change la nature même », mon commentaire à la JCPA 2021, comm. 2168 sur CE, 17 mars 2021, n° 2021, Lebon T.) : nouveau critère peu retenu par le Conseil d’Etat = 14 déc. 2022, n° 448013 (mon commentaire à la JCPA 2023 n° 2029) et 13 janv. 23 n° 450446, non fichées sur ce point et seulement en cassation au titre de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Les seules limites réelles sont celles que le Conseil d’Etat pose en réalité pour ne pas complexifier encore le rôle du juge : CE, 6 oct. 2021, n° 442182, Lebon, lorsque la régularisation implique de présenter un projet global en vertu de la jurisprudence Thalamy, alors qu’une mesure d’instruction serait en théorie possible (JCPA comm. 2350) ; CE, 9 nov. 2021, n° 440028, Lebon T. : le refus de régularisation doit être contesté dans un litige distinct -alors même que ce refus peut se révéler infondé, mais au terme d’une procédure qui peut être complexe du fait de la possibilité de substitution de motif- (JCPA comm. 2392). Noter aussi CAAM, 1er déc. 2022, n° 20MA02543 : déclaration préalable (DP) au lieu d’une demande de permis, arrêt justifié par le fait que les délais d’instruction, la composition du dossier et les régimes -décision sur DP toujours tacite favorable contrairement aux permis où exceptions, obligation d’architecte pour certains permis et jamais pour les DP…) sont différents.
Ces possibilités de régularisation sont justifiées car, comme l’a jugé le Conseil d’Etat dans l’affaire n° 440028, « eu égard aux conditions prévues par ces dispositions, qui n’affectent pas le droit de contester une autorisation d’urbanisme devant le juge de l’excès de pouvoir et d’obtenir qu’une telle décision soit conforme aux lois et règlements applicables, le tribunal n’a pas, ce faisant, méconnu le droit à un recours effectif garanti notamment par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». En effet, ainsi que l’a soutenu le rapporteur public, le « droit à un recours effectif consiste en un droit de faire trancher son litige par un juge impartial » mais « ne prédétermine aucunement le contenu ou les effets de la sanction juridictionnelle ». Il ajoute qu’« à cet aune…l’usage, même répété, des régularisations ne saurait traduire une méconnaissance du droit au recours. D’une part, en maniant ces techniques, le juge ne laisse pas perdurer l’illégalité constatée, il adopte simplement une approche rédemptrice consistant à privilégier la correction de l’acte à sa censure immédiate. A cet égard…si le pétitionnaire ne saisit pas cette chance supplémentaire que lui offre le juge de « retrouver le chemin de la légalité », alors l’annulation prend effet à l’expiration du délai fixé, de sorte que le projet se retrouve bel et bien amputé de son versant illégal. D’autre part, lorsque le pétitionnaire régularise l’illégalité, la mesure prise à cette fin peut également être contestée par le requérant initial dans le cadre de l’instance initiale : il n’y a donc pas d’angle mort ni d’obstacles rédhibitoires mis à la justiciabilité des autorisations d’urbanisme ».
Exécution
De façon générale, il convient de distinguer annulation d’un refus et annulation d’un permis.
En cas d’annulation d’un refus, la demande doit être réexaminée, le cas échéant en application de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme, au vu des règles en vigueur à la date du refus lorsque l’annulation est définitive et la demande confirmée par le pétitionnaire (sauf injonction du juge), et injonction de délivrance lorsqu’aucun autre motif légal de refus n’existe (art. L. 424-3 et CE, avis, 25 mai 2018, n° 417350). Afin d’éviter des refus de principe, il pourrait être envisagé de limiter dans le temps la possibilité d’invoquer de nouveaux motifs de refus, à l’instar de la cristallisation des moyens.
En cas d’annulation totale d’un permis, celui-ci ne peut (*) être mis en œuvre. Dans le cas contraire, le maire doit dresser procès-verbal et ordonner l’interruption des travaux. En cas d’annulation partielle, sa mise en œuvre est subordonnée à l’octroi d’un permis de régularisation, sauf lorsque le motif d’annulation partielle ne s’oppose pas en pratique au commencement des travaux.
(*) Si des travaux ont été effectués avant l’annulation totale ou partielle du permis, ils peuvent avoir donné naissance à une construction existante lorsque le gros œuvre est achevé et l’article L. 421-9 relatif à la prescription administrative s’applique le cas échéant puisqu’un permis a été obtenu avant son annulation.