Extrait du Journal spécial des sociétés édition spéciale Journées Juridiques du Patrimoine 2023 :

La mise en œuvre du ZAN en construction sous le regard vigilant du juge administratif

Par Alexandre Riquier, avocat en droit public au barreau de Paris

Le 4 octobre 2023, le Conseil d’Etat a rendu deux décisions relatives aux décrets d’application du « zéro artificialisation nette » (CE, 4 octobre 2023, n°465341 ; 465343) annulant le nouvel alinéa 2 du II de l’article R. 101-1 du code de l’urbanisme. Ces décisions, si elles ont certes, du fait de leur objet, une portée qui doit être relativisée, sont l’occasion de faire le point sur cet objectif de ZAN consacré par la loi Climat et Résilience, sur son calendrier d’application et sur ses impacts contentieux.

La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et Résilience », issue des propositions de la Convention citoyenne, pose un objectif de lutte contre l’artificialisation des sols, désormais inscrit au 6°bis de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme. L’atteinte de cet objectif résulte de l’équilibre entre la maîtrise de l’étalement urbain, le renouvellement urbain, l’optimisation de la densité des espaces urbanisés, la qualité urbaine, la préservation et la restauration de la biodiversité et de la nature en ville, la protection des sols des espaces naturels, agricoles et forestiers et la renaturation des sols artificialisés, comme le prévoit maintenant l’article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme.


Ces dispositions ajoutent que l’artificialisation doit être définie comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » (L. 101-2-1 du code de l’urbanisme). La renaturation d’un sol, ou désartificialisation, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé. Quant à l’artificialisation nette des sols, elle correspond au solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnés.

Deux décrets attaqués

Pour mettre en œuvre ces dispositions, deux premiers décrets d’application de la loi du 22 août 2021 précitée ont été publié le 29 avril 2022 définissant, d’une part, la nomenclature de l’artificialisation des sols et, d’autre part, la manière dont les objectifs sont intégrés au schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). Cependant, l’Association des maires de France (AMF) a saisi en juin 2022 le Conseil d’Etat de deux recours contre certaines dispositions de ces décrets.

Par les deux décisions du 4 octobre 2023, n°465341 et 465343, les juges du Palais Royal ont statué sur ces recours en validant la majeure partie des dispositions contestées. Le Conseil d’Etat a néanmoins fait droit, en partie, aux demandes de l’AMF en annulant les dispositions codifiées au II de l’article R. 101-1 issu du décret du 29 avril 2022, relatives à l’échelle à prendre en compte pour apprécier l’artificialisation des sols.

Au sujet de la nomenclature permettant d’apprécier l’artificialisation des sols, les dispositions issues du décret, au II du R. 101-1 du code de l’urbanisme, prévoyaient : « II. – Les surfaces sont classées dans les catégories de la nomenclature annexée au présent article. Le classement est effectué selon l’occupation effective du sol observée, et non selon les zones ou secteurs délimités par les documents de planification et d’urbanisme. / L’occupation effective est mesurée à l’échelle de polygones dont la surface est définie en fonction de seuils de référence précisés par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme selon les standards du Conseil national de l’information géographique. / Le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées est évalué au regard des catégories indiquées dans la nomenclature ».

L’absence de contours précis des surfaces

Le Conseil d’Etat a considéré qu’en en se référant à la simple notion de « polygone », ces dispositions ne fournissaient pas suffisamment d’indications sur l’échelle à laquelle l’artificialisation et la non-artificialisation doivent être appréciées. De la même manière, les auteurs du décret attaqué ne pouvaient être regardés comme ayant établi, comme il leur appartenait de le faire en application des dispositions citées ci-dessus du dernier alinéa de l’article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme, l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme en renvoyant, pour la définition de la surface de ces derniers, à un arrêté du ministre chargé de l’urbanisme et aux standards du Conseil national de l’information géographique (CNIG). Bien que ce conseil soit prévu par le décret n° 2011-127 du 31 janvier 2011, le référentiel qu’il publie n’a pas de valeur réglementaire et constitue seulement une base pour la définition des seuils sans avoir valeur contraignante.

Autrement dit, ces dispositions ont ainsi été annulées, au motif que le ministre ne pouvait légalement subdéléguer une compétence qui lui était confiée : le décret aurait dû lui-même fixer précisément les contours des surfaces auxquelles sont appliquées la nomenclature prévue par le décret.

L’enjeu de ces dispositions, comme le souligne le rapporteur public Nicolas Agnoux dans ses conclusions, est d’importance dès lors que « selon la focale utilisée pour qualifier l’unité de référence, les zones qui entremêlent des espaces artificialisés et non artificialisés peuvent se prêter à un décompte différent, ce qui peut modifier substantiellement le degré de contrainte pesant sur chaque collectivité ». Il est vrai que la question de l’échelle des documents graphiques demeure un enjeu juridique crucial pour la planification réglementaire urbanistique ou environnementale.

Néanmoins, cette annulation est, dans l’immédiat, de faible portée, car elle concerne uniquement un élément technique de l’évaluation de la mise en œuvre du ZAN, sans remettre en cause son principe et qu’au surplus, la nomenclature prévue par la loi « Climat et Résilience » ne doit trouver à s’appliquer qu’à partir de 2031. De plus, la nouvelle version du décret soumise à consultation du public en juin et juillet 2023 et dont la publication devrait intervenir prochainement devrait corriger cette irrégularité en assortissant la nomenclature définie en annexe de seuils de référence égaux à 50 ou 2 500 mètres carrés selon la catégorie concernée.

Des engagements chiffrés et contraignants

Ces décisions sont toutefois l’occasion de revenir sur les objectifs du ZAN, son calendrier d’application et son impact contentieux.

La loi consacrait déjà des objectifs similaires, de « gestion économe du sol » (L. 110 du code de l’urbanisme), « d’utilisation économe des espaces natures » (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement) et de « lutte contre l’étalement urbain » (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Mais la nouveauté posée par la loi « Climat et Résilience » réside dans ce que l’objectif de lutte contre l’artificialisation des sols est assortie d’engagements chiffrés et contraignants.

Ainsi, la loi prévoit la réduction de moitié du rythme de l’artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et, à l’horizon 2050, un objectif d’artificialisation nette, tel que définit plus haut, de 0%.

La loi a été suivie des deux décrets du 29 avril 2023 examinés par le Conseil d’Etat à l’occasion des contentieux précités et par la loi n°2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux. De plus, comme il a été indiqué, deux nouveaux décrets d’application sont en cours d’élaboration par le Gouvernement et devraient être publiés prochainement.

Le ZAN devrait envahir les prétoires

Sur la plan contentieux, le ZAN a encore peu d’impact. Certains requérants commencent à soulever des moyens tirés de l’objectif ZAN, notamment dans les contentieux d’urbanisme. Soulignons seulement que le juge administratif a déjà considéré au visa de l’article R. 122-5 du code de l’environnement qu’un requérant « ne peut utilement se prévaloir d’instructions ou de circulaires formulant un objectif de « zéro artificialisation nette » » (CAA Lyon, 27 octobre 2022, n° 20LY03361) et que « la doctrine ministérielle relative à la recherche d’un objectif « zéro artificialisation net » [était] dépourvue de caractère réglementaire » (CAA Douai, 24 février 2022, n° 20DA00358).

A l’avenir, les dispositions des SRADDET, des SCOT, et des PLU qui intégreront les objectifs de ZAN, pourront toutefois être opposables dans les contentieux et servir de nouveau levier pour les parties. Relevons d’ailleurs qu’en l’absence d’intégration des objectifs dans chacun de ces documents, les ouvertures à l’urbanisation seront suspendues à compter d’août 2026 et aucune autorisation d’urbanisme ne pourra être délivrée dans une zone à urbaniser à compter d’août 2027.

Enfin, il faut rappeler que, lorsque des objectifs chiffrés sont inscrits dans la loi, l’Etat s’expose au risque, en cas de non-respect de ces objectifs qu’il s’est lui-même imposé, de se voir condamner par le juge administratif en raison du non-respect de ses engagements (voir sur ce point les décisions CE, 17 octobre 2022, n°428409 sur la pollution de l’air et CE, 10 mai 2023, n°467982 sur les émissions de gaz à effet de serre).

Il ne fait ainsi aucun doute que le ZAN devrait envahir les prétoires, sous différents angles, les prochaines années et donner lieu à d’abondants débats contentieux.