Le patrimoine littoral, notion et évolution
Par Norbert Calderaro, Président de Tribunal administratif honoraire
La notion de patrimoine spécifique du littoral a été introduite, par la loi du 3 janvier 1986, successivement codifiée, s’agissant de ce concept, sous l’article L 146-6, puis aujourd’hui sous l’article L 121-23 du code de l’urbanisme. Ce texte dispose : Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques.
Cette notion, qui apparaissait pour beaucoup de rédacteurs de la loi comme secondaire, a, en réalité, pris une place centrale dans la jurisprudence des juridictions administratives.
Ce patrimoine caractéristique du littoral présente quatre caractéristiques :
Un patrimoine à la fois terrestre et marin :
L’article L 121-23 précité du code de l’urbanisme parle à la fois d’espaces terrestres et marins. Point n’est besoin de revenir sur la très abondante jurisprudence qui protège, au titre de ces dispositions, des espaces terrestres.
Mais ce texte législatif, de par sa formulation générale, étend aussi son régime protecteur jusqu’à la limite de la mer territoriale, jusqu’à 12 milles marins, puisqu’il peut concerner, non seulement, des espaces relevant des rivages de la mer, mais aussi les fonds marins relevant du domaine public maritime ou les eaux territoriales proprement dites.
Particulièrement important est l’arrêt du Conseil d’État du 30 décembre 2002 (CE 30 décembre 2002 Commune de Six-Fours-les-Plages, n° 245 621, Rec.T. p.861 ) qui qualifie d’espaces remarquables les herbiers marins de posidonies et de cymodocées.
Une notion intersubjective
Les détracteurs de l’abondante jurisprudence administrative relative à ces espaces, que l’on qualifie en général simplement d’espaces remarquables du littoral, font remarquer qu’il ne s’agit pas d’une notion objective, mais d’une notion subjective.
Comme commissaire du gouvernement (devenu aujourd’hui le rapporteur public du tribunal) j’avais attentivement examiné ce point, en 1996, dans le contentieux de la zone d’aménagement concerté de Pardigon (TA de Nice 4 juillet 1996, Association « Vivre dans la presqu’ïle de Saint-Tropez, JCP 96 II, 22691, concl. N. Calderaro), située sur les deux communes de Cavalaire -sur-mer et de la Croix-Valmer, et bien connue de Me Monamy. (CAA de Marseille 20 janvier 2000, Commune de Cavalaire-sur-mer, commune de La Croix-Valmer et autre, 96-2164)
Les espaces naturels du littoral peuvent être qualifiés de remarquables selon deux types de critères ; les critères écologiques et biologiques et les critères paysagers.
La jurisprudence, et notamment l’arrêt Société Rest AG du 24 octobre 1995 de la cour administrative d’appel de Lyon, insiste parfois sur ses seules qualités paysagères pour qualifier l’espace de remarquable.
Dans une remarquable étude parue dans la revue Études foncières de juin 1994, Eric Binet, alors directeur régional de l’environnement du Languedoc-Roussillon, donnait une appréhension intéressante de la notion de paysage. Pour M. Binet, le paysage est la vision esthétique de l’environnement de chacun… L’objectivité du paysage est bien le fruit d’une intersubjectivité, une invention à la fois de ceux qui le construisent et de ceux qui l’observent. Le paysage ramène à la notion de sagesse, d’équilibre, d’harmonie.
Ajoutons que cette intersubjectivité spatiale est posée, de façon incontestable, par le juge administratif lorsqu’il procède à une visite des lieux pour poser un regard de magistrats habilités par la société à juger. Ce regard qualifié pourra, plus tard, fonder un jugement qui dira le droit et l’appliquera à un cas d’espèce. Et c’est pourquoi, j’ai toujours été un ardent partisan des visites des lieux préalables dans toutes les espèces où s’expriment de fortes divergences de vues collectives. Les formations de jugements successives, appelées à trancher en droit, peuvent ensuite, très difficilement, contredire les énonciations de fait contenues dans le procès-verbal et les photos qui traduisent l’œil de magistrats appelés, de par leurs fonctions, à statuer au nom du peuple français.
Un patrimoine vivant, en perpétuel évolution
Ce patrimoine dit naturel est, en réalité, largement remodelé par l’homme depuis le néolithique et l’entrée de notre planète dans ce qu’il est convenu d’appeler, aujourd’hui, l’anthropocène.
Il est évident que, dans nos régions méditerranéennes, particulièrement riches et développées à l’époque de la Provincia romaine, nombre de sites aujourd’hui boisés constituaient autrefois de vastes domaines agricoles, voire de véritables cités.
Ce patrimoine est aussi un patrimoine vivant, car il est animé de vie, d’une vie végétale diversifiée qu’il convient de garder, mais aussi d’entretenir, à l’image du Jardin d’Eden du livre biblique de la Genèse, au regard notamment d’un climat et d’un relief qui ont évolué et évoluent fortement depuis les dernières décennies, mais aussi d’une vie humaine liée à la mémoire des écrivains, des artistes : peintres ou musiciens…
À cet égard, le paysage littoral trouve ses origines dans les Marines de Claude Lorrain, puis des peintres anglais du XVIIIème et du début du XXème siècles. Et, en dépit des mutations considérables subies par les côtes européennes depuis la fin de la seconde guerre mondiale et du développement continu de l’urbanisation, c’est encore et toujours cette vision de côtes encore pratiquement vierges de toute construction qui prédomine dans la culture de nos contemporains.
Force est de reconnaître, par ailleurs, que les propriétés du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres font l’objet d’une gestion environnementale et d’un accueil du public très variables selon la qualité du gestionnaire, association ou collectivité territoriale qui pratique soit une ouverture au public tous azimuts, soit au contraire une gestion écologique des espaces
Un statut juridique varié où prévaut, de plus en plus, la domanialité publique
Ce patrimoine, qui peut faire l’objet d’une appropriation privée assurant sa protection dans le cadre de l’article L121-23 précité du code de l’urbanisme, est souvent régi, juridiquement par le concept de domanialité publique lorsque le propriétaire est une personne publique : Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, Etat ou Collectivité Territoriale.
Seule la domanialité publique relevant d’une personne publique est, en effet, de nature à permettre à tous un usage de ce bien commun.
On peut ainsi reconnaître un vaste domaine public littoral naturel:
1) Un domaine public maritime relevant de l’État (rivages de la mer et lais et relais), ou des communes (plages situées au-dessus de la ligne du plus haut flot)
2) Un domaine public du Conservatoire du littoral correspondant aux terrains acquis par ce dernier et dont la domanialité publique est aujourd’hui consacrée par le Code des propriétés publiques.