
Retour sur la 25ème édition des Journées Juridiques du Patrimoine : « Le patrimoine contre vents et marées »
La 25ème édition des Journées juridiques du Patrimoine a eu lieu à Paris, le 5 novembre 2025. Depuis 1998, ce colloque annuel s’emploie à réfléchir sur les problèmes posés par la préservation du patrimoine et des paysages et sur les moyens juridiques et réglementaires efficaces qui permettraient de conserver cet héritage, de le mettre en valeur dans une perspective durable et de contribuer à son développement.
La matinée s’est ouvert sur une veille parlementaire, suivie d’une analyse de l’actualité jurisprudentielle. Une première table ronde a abordé ensuite la question du financement et de la fiscalité du patrimoine non protégé.


Actualités parlementaires
par Sabine Drexler, sénatrice du Haut-Rhin, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication
Sabine Drexler, sénatrice du Haut-Rhin, a déploré une année législative dense mais incertaine pour le patrimoine. Elle dénonce les effets destructeurs de certaines lois, notamment liés à la rénovation énergétique, qui classe les bâtiments anciens comme « passoires thermiques » via le DPE, risquant de les pousser à la démolition plutôt qu’à la réhabilitation.
Le budget du patrimoine l’inquiète. Des baisses budgétaires très importantes sont prévues notamment le programme 175 « Patrimoine » subissant la plus forte baisse de la mission Culture.
Le financement des Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) est gravement menacé par la réforme de la taxe d’aménagement, entraînant la liquidation de certaines structures. Un rapport sénatorial a été déposé le 12 novembre 2025 sur les dysfonctionnements de la taxe d’aménagement.
Des amendements visant à corriger les dysfonctionnements de la taxe d’aménagement et à sécuriser le financement des CAUE ont été déposés et adoptés par l’Assemblée nationale en 1ère lecture. Une rallonge exceptionnelle de 270 millions d’euros a été défendue en faveur des départements pour compenser la perte de recettes.Le 21 novembre 2025, l’Assemblée nationale a rejeté la première partie du PLF 2026. Par conséquent, tous les amendements, y compris ceux favorables aux CAUE, tombent en principe à l’eau. Le texte est actuellement en examen au Sénat depuis le 27 novembre 2025.
Actualité jurisprudentielle
par Alexandre Riquier, avocat au Barreau de Paris

Maître Riquier, avocat au Barreau de Paris, est revenu sur la jurisprudence concernant le littoral et les contentieux éoliens. Il a rappelé un avis du Conseil d’État (CE, 30/04/2024) qui précise que l’agrandissement d’une construction existante n’est pas une « urbanisation » interdite, sous conditions de proportion. Les juridictions maintiennent une interprétation stricte de la continuité d’urbanisation (pas de dispersion de constructions). Le Conseil a aussi confirmé la responsabilité indemnitaire d’une commune ayant délivré un certificat d’urbanisme erroné. Concernant le contentieux éolien, le juge doit considérer les atteintes visuelles non seulement sur le monument historique, mais aussi depuis celui-ci. Les projets sont annulés si les éoliennes nuisent aux panoramas et perspectives ou si les nuisances sonores cumulées ne sont pas correctement évaluées.

Financement du patrimoine : a-t-on toujours les moyens de notre patrimoine ? Point sur le financement et la fiscalité du patrimoine non protégé
Table-ronde autour de Loïc Dusseau, avocat au Barreau de Paris et secrétaire général de
Patrimoine-Environnement
Avec Alexandre Giuglaris, directeur général de la Fondation du Patrimoine; Jérémie Patrier Leitus,
député du Calvados; Edouard de Lamaze, président de l’Observatoire du patrimoine religieux, maire de Bois-Héroult (Seine-Maritime) et conseiller régional de Normandie; Maître Cécile de Smet, avocate fiscaliste
La table ronde sur le patrimoine non protégé a opposé deux visions sur le financement du patrimoine non protégé (85% du parc national).
Edouard de Lamaze, président de l’Observatoire du patrimoine religieux, a dénoncé un « mépris institutionnel » pour le patrimoine non protégé. Il appelle à une réforme pour reconnaître une valeur à tout élément contribuant à l’identité territoriale. Il juge le financement insuffisant et complexe.
Jérémie Patrier Leitus, député du Calvados, nuance cette critique en soulignant que la France possède le dispositif fiscal de mécénat le plus favorable au monde, représentant une dépense fiscale majeure et un soutien indirect de l’État. Il cite le Loto du patrimoine et les amendements budgétaires récents. Il plaide pour conditionner 10% des aides à un projet de valorisation (tourisme, culture) et éviter de restaurer des « coquilles vides ».
Alexandre Giuglaris, directeur général de la Fondation du patrimoine, a rappelé la mission de la Fondation de sauvegarder le patrimoine de proximité via un réseau de 1200 bénévoles et en le positionnant comme un levier de développement économique.
Remise du Prix Pierre-Laurent Frier
par Corinne Lepage, avocate spécialisée en droit de l’environnement et ancienne ministre (PE)


Préservation du littoral : quelle dynamique collective autour de quels acteurs pour ne pas prendre l’eau ?
Table ronde animée par Maître Monamy, avocat au Barreau de Paris
Avec Philippe Leonelli, maire de Cavalaire-sur-Mer; Claire-Lise Mary, responsable de la mission
foncière PACA; Patrick Chatrieux, vice-président de l’association du Domaine du Rayol
La protection du littoral français a été le thème de la 2ème table-ronde, mettant en lumière l’action du Conservatoire du littoral (créé en 1975) et l’application de la Loi Littoral (1986).
Maître Monamy, avocat au Barreau de Paris, a souhaité illustrer ce thème par un exemple local dans le Var, démontrant comment l’action foncière du Conservatoire et la réglementation parviennent, malgré les pressions, à sauvegarder des espaces naturels et historiques (château de la Moutte, domaine du Rayol).
Claire-Lise Mary, responsable de la mission foncière PACA pour le Conservatoire du Littoral, a insisté sur le modèle d’intervention unique au monde de l’établissement. Elle a souligné sa fragilité (menace de fusion récente) mais son rôle essentiel pour protéger les 12 000 km de côtes face à la forte pression démographique et aux risques climatiques. Le Conservatoire gère 215 000 hectares (15-17% du littoral) grâce à l’acquisition foncière (budget annuel de 55 M€, dont 15 M€ pour l’acquisition) et s’appuie sur la gestion par des collectivités et associations.
Le maire de Cavalaire-sur-mer (Var), Philippe Leonelli, a présenté les efforts locaux pour concilier un urbanisme maîtrisé, la lutte contre l’érosion côtière et la protection de la biodiversité et les actions en faveur de la Maison de la Nature, premier don au Conservatoire en 1977.
M. Chatrieux, vice-président du Domaine du Rayol, association gérante du site, propriété du Conservatoire, a exposé le succès (20 ha, 80 000 visiteurs/an) de ce jardin botanique, modèle d’autofinancement (88% du budget) et de valorisation.
Les débats ont confirmé que la réussite de la protection repose sur la collaboration et la confiance entre le Conservatoire, les collectivités locales et les associations gérantes.
La conclusion générale a rappelé l’importance de la vision à long terme et de la transmission du patrimoine. Il est crucial non seulement de préserver (restaurer) mais d’animer le patrimoine (« un patrimoine sans projet est voué à être figé »), nécessitant l’engagement collectif des institutions, des associations et de la jeunesse.

