Retour sur la 22ème édition : DROIT AU PATRIMOINE – PLACE A L’IMAGINATION !

Après un texte d’introduction de M. de La Bretesche (à lire ici) lu par Christophe Blanchard-Dignac, président délégué de Patrimoine-Environnement, une veille parlementaire a été effectuée par Olivier Paccaud, sénateur de l’Oise, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et co-auteur d’un rapport consacré au bilan du plan de relance dans le domaine du patrimoine en mars 2022.

Si, récemment, aucun texte de loi n’est venu modifier la législation relative au patrimoine bâti, le Sénat débat en ce moment d’un projet de loi sur l’accélération des énergies renouvelables en navette parlementaire, qui pourrait affecter considérablement le patrimoine. Le sénateur a souhaité présenter deux rapports récents particulièrement intéressants à analyser :
LE BILAN DU PLAN DE RELANCE EN FAVEUR DU PATRIMOINE : M. Paccaud a analysé avec le sénateur Joseph Else (Ardennes), un an après son lancement, le plan de relance en faveur du patrimoine, dans le cadre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Le gouvernement a choisi le patrimoine comme un des piliers de la relance, ce qui lui a apporté un soutien nécessaire à la préservation et mise en valeur du patrimoine au vu des conséquences causées par la crise sanitaire.  En 2022, grâce aux crédits du plan de relance, le soutien de l’Etat a atteint un record : 614 millions d’euros de crédits. Cependant la ventilation des crédits interpelle… Les contraintes du plan de relance ont conduit à privilégier les monuments de l’État, mettant en évidence des dysfonctionnements de la politique publique, notamment l’insuffisante concertation avec les collectivités territoriales et prise en compte des problématiques des territoires ruraux…
LE RAPPORT SUR L’ÉTAT DU PATRIMOINE RELIGIEUX :
Déposé en juillet 2022, le rapport d’information de M. Pierre OUZOULIAS et Mme Anne VENTALON, au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, a soulevé la question du devenir du patrimoine religieux français. Cet enjeu est, en France, d’autant plus crucial que les communes sont propriétaires de la plupart des édifices de culte. Il existe un risque d’abandon d’une partie des édifices non protégés notamment dans les territoires ruraux.
Les rapporteurs ont rédigé des recommandations pour améliorer la protection de ce patrimoine : pallier au manque d’ingénierie des maires et s’appuyer sur les CAUE, mais aussi affirmer l’importance de généraliser le carnet d’entretiens, les travaux pouvant ainsi être effectués au fur à mesure. Enfin la question actuelle est aussi celle de la réappropriation et revalorisation des édifices cultuels, afin que le cultuel et le culturel puissent se rejoindre et que ces édifices redeviennent des lieux et places de vie pour les territoires et leurs habitants.

Norbert Foulquier, professeur de droit public à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, codirecteur du SERDEAUT, directeur adjoint du GRIDAUH, a par la suite émis un retour sur les propositions du Manifeste du G7 Patrimoine : pour la constitutionnalisation du patrimoine et un référé d’urgence.

Le professeur analyse les deux propositions en deux temps :
Sur la première proposition, à savoir la constitutionnalisation de la protection du patrimoine:
Il s’agirait de constitutionnaliser le patrimoine afin d’en renforcer sa protection. Mais quelle est son utilité politique et juridique? Consacrer le lien entre patrimoine et environnement (comme écrin environnemental), environnement comme paysage est le fruit de toute une tradition. Souligner les liens entre eux est évident (Charte de l’environnement).
Cependant quel champ d’application donner à la notion de patrimoine ? Plus la limite sera fixée, plus la protection du patrimoine sera forte mais pourra se heurter à d’autres écueils notamment aux droits et libertés fondamentaux. De plus, ajouter au bloc de constitutionnalité, c’est légiférer encore plus le droit dans une société déjà légiférée.
La rédaction de principes généraux du patrimoine pourrait faire l’objet d’une loi organique que les lois ordinaires devraient respecter. Cela limiterait les initiatives parlementaires conduisant à réduire la protection du patrimoine. Il serait dès lors nécessaire de définir le contenu de cette loi organique.
Une deuxième hypothèse serait de proposer une refonte de la Charte de l’environnement (“et du patrimoine”?). Cette procédure serait sans doute plus complexe, et une refonte profonde de cette dernière serait nécessaire.
Enfin, l’institution possible d’un référé d’urgence serait à envisager, mais réservé aux associations agréées d’utilité publique et construit sur le modèle du référé liberté du code administratif. Il n’y a aucun obstacle constitutionnel pour un tel référé mais reste à convaincre le législateur…

Maître Alexandre Riquier, avocat en droit public au Barreau de Paris, est venu réaliser un focus sur la jurisprudence récente concernant le patrimoine et les paysages.

Maître Riquier a, dans un premier temps, rappelé certaines décisions importantes, notamment relatives à la portée de certains avis de l’architecte des bâtiments de France et ses conséquences. Maître Riquier a notamment évoqué l’importance des contentieux en matière d’énergies renouvelables, portant particulièrement sur les éoliennes. L’accroissement sans précédent des éoliennes (13 000 éoliennes en 2018 et 19 000 en 2022) et des demandes d’autorisations suscitent de vives oppositions et un important contentieux : depuis début 2022, le Conseil d’Etat se prononce sur un projet éolien chaque mois. Il a également analysé de la Jurisprudence récente à l’article R111-27 du Code de l’urbanisme  permettant à l’autorité compétente de refuser d’autoriser un projet portant atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux.
Les décisions relatives à cet article ne sont pas toujours défavorables aux projets éoliens (décision de la cour d’appel 15 avril 2021 : 17 éoliennes dans le Morbihan). En revanche, il arrive parfois que ces décisions arrivent à remettre en cause efficacement un projet comme en juillet 2022 où le Conseil d’Etat a considéré que le dolmen de la pierre levée de Chiroux en Vienne empêchait la construction d’un parc éolien à proximité malgré un impact relatif. Les multiples décisions en la matière ont l’intérêt de confirmer la méthode retenue par le juge administratif pour rechercher l’existence d’une atteinte à un paysage naturel susceptible de fonder un refus d’autorisation, et selon la jurisprudence, il appartient au juge administratif d’apprécier la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée, et dans un second temps, d’évaluer l’impact de cette construction, compte-tenu de sa nature et de ses effets, sur le site.

La question  du bilan des Sites Patrimoniaux Remarquables (SPR) a été traitée lors d’une table-ronde animée par Arnaud de Lajartre, maître de conférences en droit public à l’Université d’Angers autour de Sibylle Madelain-Beau, ancienne Architecte des Bâtiments de France, membre de la Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture (CNPA) ; Jean-Baptiste de Froment, ancien conseiller spécial en charge du Patrimoine, de l’Architecture et de la Prospective auprès de la ministre de la Culture, maître des requêtes au Conseil d’Etat et directeur de l’ENSA de Paris-Malaquais et Alix de La Gaignonnière, architecte-urbaniste et géographe, chercheur à l’ENS.

Jean-Baptiste de Froment a rappelé que certains élus ont parfois des plans de rénovation parfois contemporains et ne voient pas l’intérêt du parc urbain comme un patrimoine, en citant l’exemple de l’ensemble de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), cité-jardin de 10 000 habitants, de 70 hectares, qui représente un  patrimoine original du début du XXe siècle. Afin de préserver le patrimoine, un projet de création d’un SPR en ces lieux pose de nombreux problèmes, sans forcément d’outils et de moyens pour en apprécier le potentiel architectural. Il explicite que l’intérêt patrimonial peut être isolément considéré comme une contrainte.Sybille Madelain-Beau, en sa qualité de membre de la CNPA, dresse un bilan sur les cinq dernières années des SPR, à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes. Sur la forme, le rapport de juin 2022 précise que la fixation du périmètre d’un SPR doit faire l’objet d’un passage devant la CNPA et d’un arrêté ministériel. Cette condition freine la transformation des anciens SPR, et on peut regretter la cohabitation de nombreuses réglementations (quelles possibilités de décentralisation ?). Sur le fond, 71 dossiers ont été examinés depuis la loi LCAP. On constate un rétrécissement important des anciens périmètres, à la demande des élus, de l’inspection générale… La question se pose de savoir s’il vaut mieux avoir un petit périmètre très bien protégé, mais ne serait-ce pas isoler le centre-ancien et le déconnecter des espaces extérieurs? Elle s’exprime aussi sur le niveau de protection des PLU patrimoniaux qui ne peuvent remplacer les SPR, n’ayant pas du tout le même niveau de protection.Alix de la Gaignonnière a aussi rappelé que la moitié des centres-anciens des SPR étaient en pleine décroissance (taux de chômage de 20%). On constate que les outils traditionnels peinent à résorber cette décroissance. Sur la planification, le problème des PSMV est qu’ils proposent des solutions liées uniquement au périmètre du SPR alors que l’ensemble du territoire a le même problème. On peut aussi cerner un souci d’exclusion et de manque de consultation des habitants des SPR qui pose question sur la légitimité des acteurs locaux sur ces règlements. Se pose aussi la question du financement et de l’investissement locatif massif, induisant une grande vacance de biens. Alix de la Gaignonnière estime que la réduction des périmètres des SPR peut aussi témoigner de la “re-monumentation” des territoires urbains.

En fin de matinée le prix Pierre-Laurent Frier a été remis par Corinne Lepage, avocate spécialisée en droit de l’environnement et ancienne ministre.

Mme Élise Cosson a été primée pour son mémoire sur « Le label de la Fondation du Patrimoine » 2022.
Un prix d’encouragement a été décerné à M. Jean-Baptiste Pinel Ségala pour son mémoire sur « La démocratie patrimoniale: étude de la participation des citoyens aux décisions patrimoniales » 2022.

Vers des agglomérations sans cœur ?
La mairie et l’église doivent rester au milieu du village

La mairie et l’église doivent rester au milieu du village” Une table-ronde a été organisée sur le thème du regroupement communal où la question de l’appauvrissement toponymique et patrimonial a été posée autour de Philippe Toussaint, président de l’association Vieilles Maisons Françaises (VMF) et maire de la commune nouvelle de Gouffern-en-Auge, François Chatillon, architecte en chef des Monuments Historiques et  Loïc Dusseau, avocat au Barreau de Paris.

Loïc Dusseau a pris la parole sur le patrimoine immatériel notamment sur le nom des villages et des lieux-dits (villes romaines). Il s’avère que le regroupement de communes, communes nouvelles qui s’inventent un nouveau nom qui parfois supplante le nom historique des communes déléguées. Dans ce cadre existe un phénomène d’adressage, qui peut engendrer une incompréhension de certaines communes sur la nécessité de préserver certains noms historiques. La question peut engendrer une certaine perte de repères pour les habitants de ces communes nouvelles….François Chatillon a rappelé la définition du patrimoine, des choses léguées qui imposent une forme d’exigence morale. Cette exigence de devoir moral provoque nécessairement des conflits, peut-être nécessaires et consubstantiels à la question du patrimoine. On a vécu une inflation du patrimoine (monuments, pratiques sociales, patrimoine immatériel…), que certains dénoncent comme une muséification.
Sous-jacente à la question du patrimoine repose la question de l’identité, qui est une remémoration dans l’idée qu’il y ait des fondements à des individus. On peut s’interroger sur les nouveaux usages des églises, sur la façon de repenser les différences communales et l’importance de regarder le patrimoine comme un processus, un mouvement de questionnement et un patrimoine vivant qui nous permet de nous projeter de manière libre.Philippe Toussaint a fait part en tant que maire de Gouffern en Auge, village normand, de l’alternance de constructions et destructions au cours de l’histoire subies par les petites communes qui ont vu certaines de leurs églises détruites. Le seul moyen de conserver le patrimoine vernaculaire ancien, c’est de l’inscrire dans les PLU, afin qu’il soit un outil de protection de ce patrimoine. Le patrimoine doit être défendu qu’il soit grand ou petit.
Faire prendre conscience à la population de l’importance de cette préservation, via un vrai travail de communication (documentation, visites) autour du patrimoine et des paysages est nécessaire, tout comme le rendre accessible.
La première fusion de communes a été réalisée sous la Restauration. Sur sa commune, Il était nécessaire de partir des lieux-dits et ce travail d’adressage a permis de retrouver le sens du nom des lieux.  Il a souligné que le territoire plus vaste et les plus grandes capacités offertes par les communes nouvelles peuvent permettre d’organiser et d’engager des rénovations patrimoniales. Selon lui, la nouvelle forme des communes nouvelles est un outil qui peut être précieux s’il permet une organisation précise et partagée.

La dernière intervention de la journée a eu pour thème : Sauver les églises par les usages partagés : la convention comme clé de voûte d’une solution. Une table-ronde a eu lieu autour de Benoît de Sagazan, vice-président de Patrimoine-Environnement et Directeur de l’Institut Pèlerin du Patrimoine, Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du Patrimoine et vice-président d’Europa Nostra et Anne-Violaine Hardel, directrice juridique de la Conférence des Évêques de France.

Benoît de Sagazan a rapporté que 42 500 églises sont affectées au culte dont 40 000 environ sont communales. 35 000 associations sont dédiées au patrimoine (importance du monde patrimonial). Beaucoup de fonctions sont déjà présentes dans les églises : spirituelles (pour les non-pratiquants), sociales, mémorielles, éducatives (éducation artistique et développement personnel des jeunes, les enfants font l’expérience d’être guides dans l’église), culturelles (concerts, festivals)… Les églises peuvent aussi être un lieu d’hébergement au service des pèlerins et des randonneurs mais aussi au service des plus démunis, de centre d’accueil pour les étudiants (petits panneaux d’accueil: épicerie, accueil…), du bien commun (dons).
Une méthodologie est nécessaire pour analyser les différents usages partagés des églises possibles. Bertrand de Feydeau a relaté que toute une partie du patrimoine est en déshérence : la Fondation du Patrimoine a peu à peu augmenté son budget et a contribué en 25 ans à la restauration de 6500 églises. Les communes ont fait de nombreux efforts pour préserver leur patrimoine cultuel, mais se heurtent à une double situation : manque de légitimité et de sentiment d’appartenance pour engager des restaurations. Il est nécessaire de créer une coopération très importante du maire et de l’affectataire pour l’entretien du patrimoine. Il est aussi important d’avoir un objectif de réappropriation de ces édifices, au-delà de l’exercice exclusif du culte sans les dénaturer. Il vaut mieux rechercher l’exemplarité que la contrainte, en arrivant à identifier des expériences intelligentes compatibles qui puissent servir de modèle. La Fondation du Patrimoine a aussi fait le choix de lancer un “concours Sésame” : porter des projets de réemploi de lieux de culte. Il y a urgence à trouver les moyens pour accompagner les initiatives de réappropriation du patrimoine. Selon Anne-Violaine Hardel,  l’intérêt d’une convention est de se réapproprier la manière dont on va travailler ensemble. Elle préfère la notion de convention cadre en ajoutant des clauses spécifiques. Cette convention paraît indispensable et poursuit plusieurs objectifs:

  • le dialogue notamment entre les commissions d’art sacré, les délégués du patrimoine, les ambassadeurs du patrimoine…
  • Connaissance d’un cadre légal peu connu des affectataires et surtout des maires :
  • Il y a un cadre général et un cadre particulier. Rapport de sui generis. Loi des nouveaux rapports entre le culte et les pouvoirs publics. Ces édifices sont de l’ordre du patrimoine commun. La question de la propriété de l’église passe après celle de l’usage. L’article L224-31 du Code Général de la propriété des personnes publiques prévoit que pour toute activité se tenant dans un édifice légalement affecté au culte, différentes rubriques sont prévues et il sera nécessaire d’établir selon les cas :

Les horaires de répétitions, de manifestations, question des clés: infos relatives à l’activité, à l’aménagement (sono, matériel de tournage), il sera rappelé l’aspect sacré des lieux et la nécessité de remettre en état des lieux.  Il existe aussi une rubrique liée à la sécurité des lieux. L’accord de l’affectataire doit être transmis à la commune qui donne son accord sur la question de la sécurité. Sur la rubrique financière : remboursement de frais (ménage, chauffage..) qui prend en charge la caution? la billetterie? la redevance domaniale? Cette redevance obéit à un régime dérogatoire du régime de la domanialité publique.
Ce n’est qu’un cadre mais c’est à nous de réhabiliter ces lieux en le conventionnant. (Elle s’engage pour finir à donner des modèles de convention pour les usages partagés.)

Le vice-président de Fédération Patrimoine-Environnement, Benoît de Sagazan, conclut la journée en remerciant public et intervenants.